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Histoire de la SFORL

Les débuts de la Société Française d’Oto-Rhino-Laryngologie, une naissance en douceur, une enfance tumultueuse.

Par Professeur François Legent, Ancien Président de la Société Française d’ORL
1997, Université de Nantes

En collaboration avec la Bibliothèque Inter Universitaire Santé

On connaît avec précision la date de la première réunion de la Société Française d’Oto-Rhino-Laryngologie, le mardi 21 novembre 1882. C’est du moins la date à laquelle se retrouvèrent à Paris pour une « réunion préparatoire » les fondateurs de la Société française d’Otologie et de Laryngologie, l’ancêtre de notre société actuelle qui changea de nom au gré des bouleversements internes et des mutations de la spécialité. Ce jour-là, quatorze parisiens, deux provinciaux et un confrère belge acceptèrent le projet d’Émile Moure, ORL à Bordeaux. Ce médecin était en fait un des rares véritables ORL de l’époque, comme Baratoux à Paris, à revendiquer des compétences dans les deux branches de la nouvelle spécialité, la plupart des confrères s’affichant soit comme otologistes, soit comme laryngologistes, nettement moins nombreux. Parmi les présents à cette réunion constituante, on pouvait relever aux côtés de Moure, plusieurs spécialistes qui ont laissé au moins un livre ou des publications si ce n’est un nom. Citons Baratoux, Bonnafont, Boucheron, Cadier, Garrigou-Désarènes, Gellé, Gougenheim, Lévi, Ménière, Miot, Moura-Bourouillou.

Émile Moure fut bien le véritable créateur de cette société. Il en avait émis le projet dans le n° 13 de la Revue Mensuelle de Laryngologie, d’Otologie et de Rhinologie en date du 1er Août 1881, qu’il avait créée un an plus tôt. A l’occasion de ce premier anniversaire, Moure exprimait une grande satisfaction devant le succès de cette publication qui venait concurrencer les Annales des Maladies de l’oreille et du larynx – otoscopie, laryngoscopie, rhinoscopie, revue fondée en 1875 par une équipe parisienne, et qui semblait ne guère laisser de place à une autre publication spécialisée. « Lorsqu’il y a un an, nous inaugurions en province notre modeste publication, nous étions loin de nous attendre à l’accueil qui lui a été fait et au succès rapide qu’elle a obtenue dans le monde médical…. La centralisation exagérée qui existe dans notre pays pouvait faire craindre qu’une Revue spéciale, même mensuelle, publiée en province, ne put subsister longtemps et mourût d’inanition.». L’auteur rappelait que l’otologie et la laryngologie prenaient de plus en plus d’importance dans le monde médical comme en témoignaient les congrès internationaux de Milan en 1880, le deuxième pour les maladies de l’oreille et le premier pour celles du larynx.

Cette même année 1881 était prévu un congrès de laryngologie à Londres et l’année suivante un autre à Paris et, ajoutait Moure : « nous avons la ferme conviction que de nombreuses adhésions viendront rendre ce premier Congrès des plus intéressants . Cependant, tous nos efforts ne doivent pas se borner à franchir cette première étape». Après ce congrès international de laryngologie prévu en France l’année suivante, ce pionnier voulait construire l’avenir. « Pourquoi, à l’exemple de nos confrères d’outre-mer ne formerions-nous pas une Association laryngologique et otologique dont les membres se réuniraient, soit à Paris d’abord, et dans les grandes villes de Province ensuite, pour y discuter les questions importantes et encore obscures de cette pathologie presque toute entière à l’étude ? Pourquoi resterions-nous ennemis du progrès et dépourvus de cette initiative qui laisse à l’étranger le soin de découvrir et d’appliquer le premier toutes les nouvelles méthodes, tous les nouveaux procédés d’investigation ? ». Moure avait certainement été très marqué par l’avance prise par les otologistes américains dans le domaine de la communication, avec la création de la revue Ophtalmology and Otology dès 1869, publiée en anglais et en allemand, et la création d’un premier congrès international d’otologie en 1876.

En 1910, nos prédécesseurs voulurent célébrer les 25 ans d’existence de la Société et s’interrogèrent sur ses origines. Le secrétaire général avait conclu : « Je n’ai trouvé dans nos archives aucune trace authentique nous indiquant la date exacte de la fondation de notre Société. Mais nous avons heureusement parmi nous des membres fondateurs qui se souviennent ». Une savante commission fut nommée comprenant notamment MM. Moure, Mahu, Castex, Lubet-Barbon, Mouret, Jacques, Escat, Lannois et Vacher, tous membres fondateurs et éminents O.R.L. La commission conclut qu’il était trop tard, en 1910, pour fêter le 25ème anniversaire, et qu’il fallait attendre 1912 pour fêter le trentenaire .

Les premiers fascicules des comptes-rendus des séances furent égarés par le libraire qui en était alors dépositaire. Quelques fascicules des années 1885 à 1888 1 ont été conservés à la BIUM de Paris et peuvent être consultés sur le site . Fort heureusement, ces comptes-rendus 2 étaient en partie publiés dans la revue bordelaise, consultables aussi sur le site de la BIUM. De plus, Émile Moure a raconté les débuts de cette histoire près d’un demi-siècle plus tard, dans un article paru dans cette même revue en mai 1930.

Cette Société française d’Otologie et de Laryngologie semblait être née sous les meilleurs auspices. Ses statuts, avec une direction collégiale, auguraient d’une grande souplesse de fonctionnement et de réelle confraternité.

La première réunion officielle de la Société eut lieu la semaine de Pâques 1883, les mercredi 21 et jeudi 22 mars comme en témoigne le compte-rendu 4 : « Les premières séances ont été consacrées à la discussion des statuts et règlements. Il est convenu : Que cette Association prendrait le nom de Société française d’Otologie et de Laryngologie, et se composerait :

  1. De Membres honoraires ;
  2. De membres titulaires nationaux et associés étrangers ;
  3. De Membres correspondants nationaux et étrangers.

La direction des travaux de la Société sera confié à un Comité formant en même temps le Conseil d’Administration qui sera réélu chaque année en séance générale.

Ce Comité sera composé de cinq Membres résidant à Paris, dont trois otologistes et deux laryngologistes et de deux membres de la province ou de l’étranger. À la première séance le Comité choisira dans son sein le Secrétaire et le Trésorier-Archiviste dont les fonctions seront également annuelles.

Les Membres du Comité sont rééligibles.

À chaque séance la Société choisira son Président parmi les Membres présents.

Le prix de la cotisation annuelle a été fixé à 25 fr. pour les Membres titulaires, et le droit fixe d’entrée pour les membres correspondants à 40 fr.

La Société tiendra ses séances ordinaires en janvier et en octobre, et sa séance générale pendant la semaine de Pâques.

Cette séance constitutive fut suivie le lendemain d’une séance de travail.

Le mois suivant, la création de cette Société était ainsi annoncée dans la Revue Mensuelle :

« A l’exemple des ophtalmologistes qui ont donné l’élan, les otologistes et laryngologistes de France ont cru le moment opportun pour fonder, non plus, comme les oculistes, un Congrès annuel, mais une véritable Association, analogue à celle qui fonctionne depuis déjà plusieurs années en Amérique. … Quarante confrères s’occupant des maladies de l’oreille, du larynx ou des organes connexes ayant répondu à l’appel qu’on leur avait adressé, une première réunion des Membres adhérents a eu lieu à Paris, dans le courant de mars derniers. » Suivait la liste des membres adhérents : 18 Membres titulaires parisiens, 13 Membres titulaires provinciaux, et 9 Membres associés étrangers venant de Belgique, du Luxembourg, et de Suisse.

Les ORL avaient ainsi créé la première société française de chirurgie spécialisée, précédant de quelques semaines leurs confrères ophtalmologistes. En effet, la Société Française d’Ophtalmologie fut fondée le 29 janvier 1883 par Paul Chibret de Clermont-Ferrand réunissant 42 ophtalmologistes de France, de Suisse, de Belgique et d’Espagne.

Au rythme de trois réunions par an, la nouvelle société affichait une grande vitalité. Elle se réunissait à la mairie du 1er arrondissement avant de migrer en mai 1890 à l’hôtel des Sociétés savantes, rue Serpente.

En 1884, le secrétaire Jean Baratoux écrivait dans son rapport annuel que le nombre d’adhérents était passé d’une quarantaine à 80. Le Bulletin de 1887 faisait état de 37 membres titulaires français dont 16 parisiens et de 55 membres titulaires étrangers. Parmi ceux-ci, on y trouvait la plupart des noms prestigieux avec Bezold de Munich, Delstanche de Bruxelles, Politzer, Gruber et Schrotter de Vienne, Hartmann de Berlin, Lange de Copenhague, Moos de Heidelberg, Schwartze de Halle, Trœltsch de Wursbourg, Voltolini de Breslau, et même trois américains dont Roosa de New-York et un confrère de Moscou.

En avril 1886, une modification des statuts était adoptée pour supprimer la session de janvier, et faire élire le président à la fin de chaque session pour la session suivante. On s’acheminait progressivement vers une présidence annuelle.

En 1888, alors qu’il n’y avait plus qu’une une session générale dans la semaine après Pâques et une session ordinaire en octobre, Vacher, ORL à Orléans, demandait qu’il n‘y ait plus qu’une seule session par an.

L’éloignement des provinciaux et des étrangers constituait une importante contrainte difficile à maîtriser plusieurs fois par an, même en chemin de fer. A titre d’exemple, le voyage de Nantes à Paris prenait officiellement 7h23 en 1887, soit de l’ordre de 50Km à l’heure. Les statuts furent donc modifiés ainsi : « La Société française d’Otologie et de Laryngologie se réunit chaque année à Paris, dans la même semaine que les Sociétés savantes ».

La Société prenait une vitesse de croisière qui n’a guère changé depuis. Il devenait donc possible d’établir la liste des premiers présidents annuels de notre Société qu’il est habituel de faire commencer en 1892. On peut la compléter ainsi : Boucheron en 1888, Moure en 1889, Fauvel en 1890, Ruault en 1891, Miot en 1892. Tous ces présidents ont honoré la spécialité et méritent donc de ne pas être oubliés dans le « tableau d’honneur» présidentiel.

La société semblait promise à des jours heureux. Les réunions annuelles se déroulaient en mai. En 1889, le trésorier Émile Ménière (sic) 5 exposait « en quel état prospère se trouvaient les finances de la Société ». Le succès de cette Société Française dépassait les prévisions de son fondateur bordelais. Certains confrères parisiens en prirent ombrage et imaginèrent un stratagème pour la faire disparaître. Ils firent une révolution de palais. Les fomentateurs avaient trouvé un prétexte : la Société Française ne se réunissait pas assez souvent. Une véritable opération en deux temps devait permettre de faire absorber la société nationale par une société parisienne en gestation.

Premier temps : création d’une société parisienne. Les Annales d’avril 1891 publiaient le communiqué suivant : « Le comité de la Société Française d’Otologie et de Laryngologie, frappé des inconvénients d’une réunion trop rare des laryngologistes et des otologistes français, a convoqué les spécialistes parisiens à l’effet de proposer la fondation d’une Société Parisienne d’ORL ». Vingt six confrères parisiens participèrent ainsi à la fondation d’une société à réunion mensuelle qui se réunit pour la première fois en juin 1891. Leur nombre dépassait nettement celui des parisiens inscrits à la Société Française.

Cette nouvelle société locale avait pris pour nom Société Parisienne de Laryngologie, d’Otologie, et de Rhinologie. Parmi les membres de cette nouvelle société, on notait la présence de personnalités qui n’appartenaient pas à la société nationale, notamment deux chirurgiens des hôpitaux, et Ladreit de Lacharrière. Ce célèbre otologiste, médecin en chef de l’Institution des Sourds-Muets de Paris, avait participé à la création des Annales mais n’avait pas répondu lors de la constitution de la Société nationale à l’appel de Moure qui avait été son élève.

Deuxième temps : au cours de la réunion de mai de la société nationale de cette même année 1891, Chatellier proposa sans ordre du jour, « la fusion de la Société française d’Otologie et de Laryngologie, dont les réunions trop rares ne permettent pas une bonne direction de ses travaux, avec la Société parisienne de Laryngologie et d’Otologie qui vient de se fonder et dont les réunions sont mensuelles.»

La majorité parisienne des membres présents en acceptèrent le principe et nommèrent une commission constituée par des membres du comité de la Société Française, le secrétaire Saint-Hilaire, le trésorier Ménière, et Gougenheim, qui avait fondé le premier véritable service de laryngologie à Bichat en 1882. Cette commission devait présenter un rapport sur cette fusion avec un vote par correspondance d’emblée admis pour avaliser cette fusion.

En novembre 1891, lors de la réunion mensuelle de la Société de Paris, le résultat du vote était donné : 39 voix pour et 11 contre. Les membres de la Société de Paris étaient invités à accepter ou à rejeter ce vote. « A la majorité des voix le vote est accepté.

A la suite de ce vote, le Dr Gouguenheim a annoncé qu’il déposerait sur le bureau à l’ordre du jour de la prochaine séance une motion pour une modification de l’article suivant du règlement : Art. 6- Pour être nommé membre titulaire, il faut être docteur en médecine, Français, résider et exercer à Paris […] pourront être nommés membres titulaires, sur leur demande, les membres titulaires de l’ancienne Société Française de laryngologie et d’otologie. » Ainsi, la Société Française était supprimée, mais ses membres avaient le privilège de pouvoir devenir membre de la Société de Paris ! Quant aux nouveaux venus provenant de province ou de l’étranger, ils pouvaient briguer une place de correspondant !

Le compte-rendu de cette réunion de novembre évoquait déjà la Société Française au passé, ne doutant pas que ses membres accepteraient le vote de la fusion comme il en avait été pour la Société de Paris.

Mais c’était compter sans la détermination de quelques provinciaux de conserver leur société nationale. Or, selon le règlement, la Société Française ne pouvait être l’objet d’une dissolution qu’à l’unanimité des voix des sociétaires présents, après avoir été inscrite à l’ordre du jour de la session générale.

Une pétition signée par 11 provinciaux, adressée à tous les membres de la Société Française, les invitait à se réunir comme d’habitude en mai 1892 avec un bureau provisoire.
Ce fut l’occasion de réaliser la première modification des statuts pour éviter « une nouvelle suppression ». Un nouveau bureau fut élu avec pour président Miot, un parisien. Dans la liste des 53 membres qui «refondèrent » la Société Française, quelques grands noms parisiens qui avaient pris une part active dans le projet de fusion avaient disparu, notamment ceux du secrétaire Saint-Hilaire, et du trésorier Ménière qui occupaient les mêmes fonctions dans la Société Parisienne. Ils n’avaient probablement pas supporté leur échec.

Ainsi, le piège jacobin avait été déjoué par quelques girondins regroupés autour du fondateur bordelais.
Les auteurs du traquenard en furent les victimes, en particulier Émile Ménière, élu en 1890 deuxième vice-président tout en étant aussi trésorier, qui aurait dû devenir président en 1892.

En 1930, Moure apporta des précisions sur cette aventure : « Quelques confrères, peut-être trop curieux, demandent alors ce que sont devenus les fonds que possédait la Société avant le vote de la fusion, car il semble tout naturel que, n’ayant pas été dissoute, la Société ait le droit de conserver sa caisse, mais il n’en fut pas jugé ainsi par le Trésorier de la parisienne qui refusa catégoriquement de nous rendre les fonds qui nous appartenaient. La plupart d’entre nous furent d’avis de ne pas insister et de ramasser à nouveau le pécule nécessaire pour continuer la publication de nos bulletins. La somme utile était peu importante, la Revue publiant le compte-rendu de chaque séance, le budget d’alors n’était grevé que des frais des tirages à part.»

La Société Française créée en 1882 continuait son parcours. Elle profitait du changement de statut pour prendre en 1892 le nom de Société Française d’Otologie, de Laryngologie et de Rhinologie . Elle faisait officiellement état du troisième pilier de notre spécialité, la rhinologie. Sur la page de couverture du bulletin de cette année 1892, on voit apparaître «rhinologie» en petits caractères, au-dessous des deux grandes sœurs. La Société s’engageait à éditer les Bulletins et mémoires des travaux et les deux ou trois rapports présentés à chaque congrès annuel.

Depuis cet épisode, la Société Française subit plusieurs modifications des statuts.

En 1907, l’assemblée générale adoptait deux propositions: le congrès prenait l’appellation de « Congrès français d’O.R.L », et la Société changeait de nom pour devenir la Société Française d’Oto-Rhino-Laryngologie. La rhinologie avait ainsi acquit la parité avec les deux grandes sœurs, qui, depuis, n’ont cessé de l’encadrer.

En 1965, l’intitulé s’enrichissait officiellement de la « pathologie cervicofaciale ».

En 1998, pathologie cervicofaciale se muait en « chirurgie de la face et du cou ».

Et début 2001, pour le nouveau millénaire, la Société Française faisait une grande cure de jouvence avec un vote par correspondance, la deuxième fois dans son histoire, à 110 ans d’intervalle.

En 2008, la Société Française d’ORL pourra donc fêter ses 125 années d’existence, alors que nos prédécesseurs avaient manqué l’anniversaire de ses 25 ans.

[1] Revue mensuelle de laryngologie, d’otologie et de rhinologie
[2] Société française d’otologie, de laryngologie et de rhinologie. Bulletins et mémoires de la société française d’otologie, de laryngologie et de rhinologie
[3] Moure É. Histoire de la Société française d’Oto-rhino-laryngologie. Revue de Laryngologie, d’Otologie et de Rhinologie 51e année, n°10, 31 mai 1930, p.354-362
[4] Revue mensuelle de Laryngologie, d’Otologie et de Rhninologie, du 1er mai 1883, p. 129-130, 146-147
[5] le fils de Prosper Menière avait accentué le premier e de son patronyme.
[6] Société de laryngologie, d’otologie et de rhinologie de Paris. – Bulletins et mémoires de la société de laryngologie , d’otologie et de rhinologie de Paris

La BIUM offre la consultation sur son site d’un nombre important de documents ORL: livres anciens, premières revues et premiers bulletins de sociétés, dont ceux de la société Française d’ORL.
– Revue mensuelle de laryngologie, d’otologie et de rhinologie (1880-1887)
– Bulletins et mémoires de la société de laryngologie , d’otologie et de rhinologie de Paris (1891-1914)
– Bulletins et mémoires de la société française d’otologie, de laryngologie et de rhinologie (1886-1913)